S’effondrer, et s’éveiller à soi-même. 

Que faire de nos effondrements ? 

Que faire lorsque l’on ne reconnaît plus ses fondations, que l’on semble sans ressources, et que l’on ne se sent plus nulle part vivant.e, enthousiaste, à sa place ?

Dans le silence et le noir d’une des nuits les plus longues de l’hiver, je voudrais vous parler de nos effondrements.

Les vôtres, ceux qui vous amènent ici à la Maison de Sens, pour un séjour ou pour entreprendre un coaching et vous remettre debout.

Les miens, parce que personne n’est à l’abri, sûrement pas une personne impliquée dans la relation d’aide avec ce que cela implique de sensibilité. Sensibilité à l’autre, aux causes qui déclenchent la volonté de (se) réparer, sensibilité aux blessures aussi, et à tout ce qui entraine de la vulnérabilité.

Nos effondrements, donc.

Parfois c’est le travail qui vous fait vaciller, perdre vos repères, parce que votre identité n’y est plus respectée, qu’il manque de sens pour les 5 ou 10 années à venir, et cette prise de conscience à elle seule vous met à l’arrêt. Les raisons de sombrer sont nombreuses, qu’il s’agisse de trahison, d’injustice, de reconnaissance dont vous manquez, de déstabilisation volontaire, méthodique, pour asseoir un pouvoir ou nourrir le feu d’une ambition qui s’écrit à vos dépens.

Parfois c’est le corps, qui semble se retourner contre vous, et qui crie, hurle, pour vous mobiliser et vous obliger à vous arrêter pour l’écouter, le regarder avec des yeux curieux et la conscience claire de ce qui peut déclencher ses appels au secours. Des dos bloqués aux tumeurs en passant par la maladie chronique, de l’alerte ponctuelle à la vie qui se réinvente avec un handicap, il n’est pas question uniquement de gravité ou de risque mortel. Il s’agit de ce que cela vient éteindre en vous, même temporairement. Parce qu’avant le rebond il y a l’effondrement, si légitime.

Parfois c’est un être cher qui disparait. Le rideau tombe, la lumière s’éteint, le noir devient total et la vie même semble faire injure à la douleur. L’abîme est sans fond, sans fin. Il va falloir vivre avec l’absent et son cortège de chagrin, de doutes, de culpabilité, de phrases qui commencent par « Et si » et se terminent dans un sanglot étouffé.

L’effondrement, c’est aussi l’amour qui s’en va. Le beau rêve plié, la beauté disparue, la magie pillée, l’innocence arrachée à un cœur qui, croyait-on, battait encore à l’unisson avec un autre.

Le silence fait suite à la dissonance, martèle à nos oreilles que l’on est seul.e désormais, et la perspective de tout reconstruire dans une absence abyssale est vertigineuse. Comment savoir vivre sans lui, sans elle ? Comment oublier la langue commune, l’histoire tissée dans tous les moments vécus, comment vivre amputé.e d’une part de ce qui est devenu soi ?

L’effondrement se niche parfois dans une somme de basculements intérieurs invisibles à l’œil nu, un enchainement de désillusions, de chagrins, de privations. Il ne se produit pas toujours dans l’éclat d’un coup de théâtre ; parfois c’est une fissure qui progressivement s’installe. Alors, méthodiquement, elle déchire absolument tout ce que l’on est, à l’aveugle, de manière insidieuse et imprévisible. Puis la brèche se creuse, devient zone de faille(s), et s’étend à la totalité de notre être. On ne reconnaît plus rien et tout nous trahit : le cœur, la tête, le corps, plus rien ne ressemble à ce que l’on savait de nous.

Que faire de nos effondrements ?

Que faire lorsque l’on ne reconnaît plus ses fondations, que l’on semble sans ressources, et que l’on ne se sent plus nulle part vivant.e, enthousiaste, à sa place ?

En logothérapie, grâce à un processus progressif qui nous fait voyager de l’introspection à l’expression (qu’elle soit écrite ou orale), on parvient à la « modification d’attitude ». Cette étape est clé. C’est à la fois un aboutissement et un point de départ : celui de la sortie de la souffrance qui rendait immobile. C’est une phase de mise à distance de la souffrance, d’autodépassement, pour affirmer une nouvelle orientation porteuse de sens pour soi.

Ce procédé n’est pas magique, et encore moins rapide. On est loin de la gratification immédiate devenue tellement centrale dans nos vies pressées. Il est le fruit d’un cheminement, d’une alliance sincère entre vous et moi. Il est le résultat d’une descente en vous-même, d’une exploration profonde de ce qu’il y a sous la poussière causée par l’effondrement, de ce qui se cache sous les décombres.

Il est le résultat d’une intuition, de l’espoir d’un mieux-être, de l’idée qu’au-dessus de vos blessures souterraines, il y a un coin de ciel bleu.

Parce qu’un jour, après des mois à douter d’un avenir lumineux, vous vous mettez à regarder vers le haut. Votre esprit se déplace. Votre regard se pose ailleurs. Vous êtes prêt.e.

Votre cœur choisit ce pour quoi il accepte, même timidement, de battre de nouveau.

Et c’est la vie qui gagne !

Ce qui suit ressemble alors à l’apprentissage de la marche : mal assurées, les jambes tremblent et le corps hésite, voudraient bien mais craignent la douleur de la chute, le risque.

« Et si je n’en étais pas vraiment capable ? Et si ça ne se passait pas comme je l’ai imaginé ? Et si je me trompais ? Et si j’avais tort ? » et si, et si, et si.

La liste des « Et si » a besoin d’être entendue. Et qu’on vous aide à l’objectiver, pour vous éviter l’engloutissement dans les boyaux de la peur.

Elle a ensuite besoin d’être mise en perspective avec les possibles ouvertures qui vous attendent de l’autre côté du mur, sur l’autre versant de la montagne que vous êtes en train d’escalader.

L’effondrement est donc un processus, et je suis allée chercher la définition de ce mot : « Enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes, répondant à un certain schéma et aboutissant à quelque chose. »

C’est à cette idée que l’on s’accroche, voilà précisément ce qui nous tient lorsque l’on traverse cet enchainement – pas toujours ordonné d’ailleurs, car le chaos brutal est possible.

Aboutissant à quelque chose…

Une version de soi fissurée, certes.

Le cœur en miettes et la confiance brisée, aussi.

Les repères balayés par la crise intérieure que l’on a traversée, oui.

Mais faisons alors appel à nos sursauts, à nos ressources, à notre créativité, à nos restes de rêves, moins grands peut-être, moins naïfs sûrement, mais sous la poussière il reste toujours quelque chose de nous ; et en se penchant vers eux, en les saisissant avec notre délicatesse, nous entrons dans le processus de réparation par l’action, qui traduit l’espoir, la volonté, l’envie que du chaos naisse autre chose.

Ça n’est pas flamboyant au démarrage.

Pas d’éclat, pas de bruit.

La justesse n’en a pas besoin quand elle a réussi à se frayer un chemin. Elle est légitime par la place qu’on a décidé de lui faire, et c’est tout ce dont nous avons besoin.

Faire de la place à ce qui sonne juste, à la mélodie qui apparaît en nous, malgré nos cordes abîmées ou nos touches fatiguées.

Pour conclure

Je vous souhaite de laisser entrer la lumière, de refaire vibrer vos cordes intérieures, même les plus sensibles (surtout vos cordes sensibles, en fait, car la beauté s’y loge toujours).

Je vous souhaite de vous relever, même en tremblant.

Je vous souhaite d’écouter vos cœurs battre et vous dire « je suis toujours là ».

Je vous souhaite de saisir des mains tendues.

Je vous souhaite du ciel bleu vers lequel élever vos regards.

Je vous souhaite la douceur, la merveille de la douceur lorsqu’elle pose sa délicatesse sur vous.

Je vous souhaite la sagesse, après la traversée, de valoriser tout ce que cela a créé en vous.

Je vous souhaite de pouvoir un jour, à votre tour, grâce à ce que vous êtes devenu.e, tendre la main à celui ou celle qui a les genoux à terre et qui mord la poussière.

Je nous souhaite d’être des mains qui se tendent.

Je nous souhaite de ne jamais nous réduire à nos faiblesses et à nos erreurs.

Je nous souhaite de faire corps avec la puissance, au-delà de nos limites, de nos effrois, de nos terreurs.

Je nous souhaite de toujours nous relever.

Enfin, je nous souhaite la plus belle des rencontres que l’on peut faire à travers l’effondrement : avec soi-même.

Précédent
Précédent

Vous, moi, et l’espoir